« Que les dieux nous protègent des monstres de la mer, du chant maléfique des sirènes et du corsaire estalien », ainsi parlaient les marins quittant le port pour un voyage incertains. Parler de l’Estalie sans mentionner ces combattants de la mer, serait comme parler des elfes en omettant leurs vénérables archers. L’Estalie, dans sa longue et épique histoire, mit au monde le corsaire le plus redouté de tous les royaumes. Comme nous le savons tous, le marin estalien est l’un des meilleurs qui soient. Dans cette période d’anarchie qui suivit la déchéance de l’Empire, certains d’entre eux, sans travail, mirent leurs talents au service de la guerre, mais dans un monde sans pouvoir central où la ville voisine peut être votre ennemi et où votre propre cité peut vous bannir après un renversement de pouvoir, ils choisirent de se battre pour eux-mêmes. Parmi ces armateurs de la guerre, cette bourgeoisie de la mer, certains devinrent pirates, mais la plupart trouvèrent une ville ou une cité pour les employer et depuis près d’un siècle ils assurent la sécurité dans le Grand Océan jusqu’à la Mer du Chaos. Bon nombre d’entre eux sont à la solde de la ligue de Magritta, du nom de la cité où elle fut formée. Alliance entre cinq grands seigneurs de l’Empire, de l'Arendie et de l’Estalie, la ligue de Magritta finance plusieurs flottes de corsaires dans le but de contrer toutes formes de thalassocratie dans le Royaume de Zaramoth. D’autres travaillent indépendamment, les nombreux conflits entre seigneurs leurs assurant d’être nécessaires pour quelqu’un quelque part.
Bien que provenant de villes différentes, ils sont fiers d’être estaliens et leurs navires arborent toujours un pavillon rouge, couleur de leur région. Sur mer, on les reconnaît de loin et nombreuses sont les prises qui se firent sans combattre, la proie se sachant vaincue d’avance. Bien des marchants racontent « apercevez-les derrière vous et vous êtes fichus, apercevez-les devant et vous avez peut-être une chance, mais ce sera en fuyant et alors ils seront derrière... ». Leur navire de prédilection est la trirème, cette galère à trois rangs de rameurs qui, contrairement aux autres galères de ce genre, ne comporte pas une seule voile carrée, mais bien deux et une autre triangulaire à l’arrière. Cette innovation, propre à eux seuls, permet au bateau d’être manoeuvrable et rapide même sans les rames. Une compagnies comporte généralement deux à trois navires, quelques fois plus, mais rarement un seul; plusieurs de leurs tactiques étant basées sur une combinaison de plusieurs attaques simultanées.
Ceci n’est pas là la seule caractéristique qui les différencie; en plus de savoir utiliser au maximum le potentiel de leurs embarcations, les corsaires estaliens se démarquent par la qualité du commandement et de l’équipage. Il serait vain de chercher à faire le récit des plus grands capitaines de vaisseaux, tellement leur nombre est grand, mais l’un d’entre eux doit être mentionné, sa grandeur ayant déjà trop fait parler. Il s’agit de Malek Valeski, le plus grand capitaine corsaire que l’histoire ait connu. Si la mer avait été un royaume, il en aurait été son roi et sa gloire est telle que nul ne pense à l’égaler en acte. Un roi des hommes poissons de l‘Est (l’archipel situé à l’Est de l’Estalie est peuplée de créatures mi-homme, mi-poisson) dit un jour à un diplomate de Magritta que le seul homme des mers respecté par son peuple était Valeski, le seul que ces créatures considéraient redoutable sur mer. Certains racontent que Valeski eut même de bonnes relations avec eux et que quelques uns se retrouvèrent parmi son équipage; toutefois, le capitaine n’a jamais confirmé cette rumeur, pas même dans ses mémoires que l’on peut retrouver à la bibliothèque tiléenne de Hamanelon. Une des plus fascinantes histoires à son sujet est, selon moi, l’expédition de la terre des assassins. Il y a de cela trente-cinq ans, la ligue de Magritta finança une des plus importantes opérations contre les mines de fer de Zaramoth. Valeski était à la tête d’une flotte de plus de soixante-dix embarcations transportant deux mille cinq cents hommes et comportant trente trirèmes directement sous son commandement. Les espions du Royaume de Zaramoth étant au courant, l’armada fut attaquée à plusieurs reprises par des dizaines de navires, mais elle ne perdit que trois galères. Sur terre, Valeski se montra aussi très bon chef et grand connaisseur des régions étrangères. Il mourut riche et honoré dans une grande demeure de Magritta, sa ville natale.
Les trirèmes corsaires comprenaient, pour la plupart, deux cents membres d’équipages, tous étant des marins combattants. Certains armateurs plus fortunés y joignaient dix ou quinze fantassins en armure. Une des particularités du navire corsaire estalien est le rôle joué par le rameur qui est un membre de l’équipage à part entière et non un esclave. La plupart des marins commencent leur carrière aux rames, puis montent en grade. Pendant l’attaque et l’abordage, le rameur est la force du navire et, au besoin, une force de réserve. En situation de défense, sa force physique en fait un combattant de taille.
Bien que la discipline et l’ordre soient importantes sur le navire, le corsaire n’est pas obligatoirement un militaire mais peut aussi être considéré comme un combattant libre. Leurs armes diffèrent beaucoup. On y retrouve habituellement des sabres mais aussi parfois des épées ou encore des marteaux. Mais tous apprennent le maniement d’une arme de jet, principalement une hachette ou une petite lame nommée « ectalion », nom patois signifiant « tueur de lapin ». En règle général, les armes longues sont à éviter, étant donnée la promiscuité qui règne sur les navires. Il y a certainement le récit du scripte sénior de la lointaine maison Talamonne qui nous fait mention d’un homme quasi géant qui se projetait, à l’aide d’une corde, au milieux des marins ennemis et faisait tournoyer sa hallebarde « trenschant les genousques et les capitas ». L’armure de cuire est parfois portée, mais par une très faible minorité, les autres la trouvant gênante.
Cependant, le capitaine qui les commande doit s’attendre à un problème de taille; si les corsaires estaliens sont de bons combattants, ils sont de mauvais citoyens. Entre les voyages, ils se donnent à de multiples exactions, surtout à l’étranger. Leur présence n’est jamais bien appréciée.